La vaccination modifie l'évolution d'un coronavirus chez les poules
Une étude menée par l'Anses montre que le génome d'une souche du virus de la bronchite infectieuse aviaire, de la famille des coronavirus, évolue différemment selon qu’il infecte des animaux vaccinés ou non vaccinés.
Ces résultats, publiés en juin 2022 dans la revue scientifique Viruses, incitent à revoir la stratégie de vaccination des poulets, mais aussi à mieux anticiper les conséquences de la vaccination contre les coronavirus en général, en premier lieu le SARS-CoV-2 chez l’être humain. Explications avec le Dr. Paul Brown, responsable de l’étude et scientifique au sein de l’unité Virologie, immunologie, parasitologie aviaire et cunicole (VIPAC) du laboratoire de l’Anses.
Qu’est-ce que le virus de la bronchite infectieuse aviaire (IBV) ?
Paul Brown : Ce virus affectant les volailles, principalement les poules, provoque surtout des problèmes respiratoires, mais aussi rénaux et génitaux selon les souches. L'IBV est désormais le deuxième virus respiratoire le plus important chez les poulets en termes de pertes économiques pour la filière.
Comme l’IBV fait partie de la famille des coronavirus, nos résultats présentent non seulement un intérêt pour la santé animale mais peuvent être également riches d’enseignements pour la santé humaine.
Pourquoi se pencher sur la vaccination contre ce virus ?
PB : La vaccination contre le virus de la bronchite infectieuse a débuté dans les années 50. Alors qu’elle est depuis systématiquement pratiquée dans les élevages de poulets, on constate que l’IBV continue d’évoluer. L’hypothèse avancée par la communauté scientifique est que la vaccination intensive pourrait contribuer à l’évolution du virus, mais aucune étude spécifique n’avait été faite jusqu’à maintenant pour documenter cette hypothèse.
Nous avons donc mis à profit de nouveaux outils bio-informatiques pour se pencher sur le sujet, avec des scientifiques de plusieurs unités du laboratoire de Plouzané-Ploufragan-Niort de l’Anses et de la faculté de médecine vétérinaire de l’Université d’Utrecht (Pays-Bas).
Comment s’est déroulée l’étude ?
PB : Nous avons étudié deux lots de poulets, l’un vacciné contre l’IBV, l’autre non. Trois semaines après la vaccination, nous avons infecté cinq animaux dans chacun des lots. Après cinq jours, nous avons prélevé les virus produits par ces animaux pour en contaminer cinq autres, puis nous avons renouvelé l’opération une autre fois avec cinq autres animaux. Il s’agissait de mimer la transmission dans le temps du virus entre les animaux. À chaque étape, nous avons analysé les génomes des virus produits.
Quels sont les résultats ?
PB : Nous avons constaté que le virus évolue rapidement dans les deux lots de poulets. Son génome présente des mutations par rapport à celui du virus initialement utilisé pour infecter les poulets. À la fin du cycle d’infections, le génome majoritaire était différent entre les deux lots : chez les virus provenant du groupe vacciné, une seule mutation avait été sélectionnée contre huit chez les non vaccinés.
On pourrait imaginer que plus le nombre de mutations est élevé, plus d’impact sur le virus est important, mais ce n'est pas forcément le cas. En effet, on sait qu’une seule mutation bien placée peut avoir des conséquences plus importantes que plusieurs changements à des emplacements moins stratégiques, c’est-à-dire moins déterminants pour la fonction du gène muté. L’impact de chaque changement nécessite donc d’être étudié spécifiquement.
Quelles conséquences pour la vaccination en élevage ?
PB : La vaccination des volailles pour contrôler la bronchite infectieuse est fondamentale. Cependant, nous avons vu dans cette étude que le virus continue d'évoluer en présence d'une immunité induite par le vaccin. Il est donc extrêmement important d’établir des stratégies vaccinales capables autant que possible de stopper complètement l’infection virale.
Pour cela, il est important de choisir le bon vaccin, adapté à la souche du virus qui circule sur le terrain. En effet, plus la souche du vaccin est proche de celle en circulation, plus le vaccin est efficace.
Ces résultats sont-ils transposables à la vaccination contre le Covid-19 chez l’être humain ?
PB : Tout n’est pas comparable, ce ne sont pas les mêmes espèces et les enjeux chez l’être humain et les volailles sont différents. Les types de vaccin, majoritairement à ARNm chez l’humain et à base de virus vivant atténué chez les volailles, sont très différents. Néanmoins, cela nous permet d’anticiper les problématiques que l’on pourrait rencontrer chez l’humain.
Nous avons d’ailleurs débuté une collaboration avec le CHU de Lyon sur la différence d’évolution du SARS-CoV-2 chez les personnes vaccinées et non vaccinées, pour comparer les résultats chez l’être humain avec ceux obtenus chez le poulet.